Pour un théâtre citoyen ! Compte-rendu complet
Samedi 17 septembre, 11h-12h30 salle des Associations
Cette nouvelle série de Cafés citoyens proposés par l’Atelier laïcité de l’Amicale laïque de Saint Brevin commence par une réflexion sur le spectacle vivant au cœur de la vie culturelle d’une ville. A l’origine des arts de la scène, le théâtre fut au centre des villes.
Pour un théâtre citoyen ! Un art vivant dans la cité
« Il faut la petitesse du théâtre pour parler de l’immensité du monde » J.P Sarrazac
Franck Berthier, metteur en scène et Directeur d’une compagnie théâtrale vient parler de son métier pour nous permettre d’en saisir l’intérêt et les enjeux.
• Qu’est-ce que le métier de metteur en scène ?
Un métier d’artiste, non un loisir d’amateur.
• Quel rapport entre le texte et l’œuvre ?
Le théâtre fait vivre des textes, les transpose vers la scène en œuvres vivantes. Comment s’opère cette transposition, comment le rapport entre le texte et sa mise en scène se réalise-t-il ? C’est l’art de passeur du metteur en scène.
• Du visible à l’invisible
La mise en scène rend visibles les personnages, les situations, les paroles et tout ce qui évoque l’infinité des choses qu’on ne voit pas.
Mettre en scène, c’est faire passer toutes les expériences humaines, toutes les cultures, toutes les histoires dans un spectacle populaire et exigeant.
Être un passeur c’est aussi savoir éveiller en toute personne une inquiétude salvatrice et transformer le spectateur en témoin critique.
COMPTE RENDU DE LA RENCONTRE
Pour cette nouvelle édition des CC un public intéressé a bien rempli la salle de la Maison des associations (33 personnes). Franck Berthier y exposait avec passion son expérience de metteur en scène et de comédien, suscitant bien des interventions pertinentes.
Si, comme le disait Jean Vilar, « le théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin », alors la question du théâtre est au centre de la communauté comme lieu de rencontre, de discussion et d’interrogations plus ou moins légères ou douloureuses sur les vicissitudes de la vie. Ainsi commence la proposition de F.Berthier pour lequel le théâtre citoyen est celui qui doit revenir au citoyen, tant il est vrai qu’une personne éloignée de la vie culturelle par un travail harassant peut quand même faire l’expérience de la liberté de penser en découvrant la scène de théâtre et ce qu’il s’y joue. Ainsi le théâtre transforme le citoyen car le rôle du metteur en scène est d’être un passeur de culture.
Mais le métier de metteur en scène est difficile, non seulement il faut être reconnu mais encore faut-il durer. Citant Tchékov « Garde ton axe opiniâtrement et le chemin sera droit », F.Berthier fait part de ses premières mises en scène bien accueillies, « La mouette » de Tchékov et « Le songe d’une nuit d’été » de Shakespeare, mais aussi de moments moins fastes. Tant que le désir est là, le travail du metteur en scène continue ; tel un « obstétricien » il fait naître des formes de vie nouvelles qui dépassent la vie ordinaire, et si le travail est bien mené, il amène le public au-delà d’une réalité quotidienne. Quand le public devient plus léger, quand les comédiens arrivent exprimer toutes les strates de leur vie émotionnelle, parfois dans l’improvisation, alors on assiste à une vraie création, un souffle traverse la salle et revient vers la scène. Cela arrive aussi parfois lors de cérémonies d’obsèques quand la communion des cœurs sublime la tristesse de l’assistance. Alors qu’il travaillait à la mise en scène du roman « l’Attentat » de Yasmina Khadra, l’horreur se produisait au Bataclan ; F.Berthier pris le risque de maintenir les représentations. Transcender les pires douleurs, c’est aussi la fonction du théâtre. Savoir faire quelque chose et savoir s’abandonner à ce qui nous dépasse ; prendre le risque maximal. C’est aussi le pari de la mise en scène du « Voyage à Zürich », laissant Marie-Christine Barrault s’approcher de la fin de vie volontaire.
La scène de théâtre offre la possibilité d’entrevoir l’invisible, ou du moins de faire signe vers ce qui outrepasse notre monde visible. Les comédiens les plus doués, tel Bruno Putzulu, sont capables d’évoquer la présence des disparus en appelant leur propre histoire qui rejoint celle qui est représentée sur scène (« Les Ritals », adaptation du livre de Cavada au Lucernaire à Paris). Les grands acteurs russes, telle Anna Kamenkova, savent faire vibrer un espace, faisant entendre la musique d’un texte qui n’est plus dès lors réduit à une simple compréhension intellectuelle. Diriger ces acteurs c’est comme danser ensemble. Se référant à Peter Brook qui faisait jouer des africains ne parlant pas les langues européennes, F.Berthier pense que le metteur en scène crée un espace de possibles, un cercle magique où se révèle la puissance expressive des hommes. Il ne s’agit en rien de « faire des coups médiatiques », de s’enfermer dans une logique de rentabilité ainsi qu’on le voit dans nombre de spectacles présentés à Avignon. Être là, être absolument présent, et non rester dans cette attention flottante qui nous fait vivre comme en songe. Le théâtre c’est ce qui éveille, ou tente d’éveiller, un public loin d’être conquis d’avance lorsqu’il est confronté à l’audace créatrice. Les artistes sont là pour éveiller, pour transcender la vie.
Les questions et remarques
Qu I.Concernant la piètre qualité théâtrale des spectacles que vous avez vus à Avignon cet été, un rappel des propos de Jean Vilar « Il s’agit de faire une société. Après quoi nous ferons peut-être du bon théâtre (« De la tradition théâtrale, 1963).
En ce jour européen du patrimoine »il existe un patrimoine spécifique des Arts du spectacle vivant avec ses institutions et ses supports.
Le choix du thème d’aujourd’hui est intéressant car on sort de l’actualité et de la vie des idées, un metteur en scène présente son métier, dans le cadre d’un Café citoyen, à l’heure actuelle de la marchandisation de la culture, de divertissement et de l’événementiel, comment poursuivre la recherche d’un théâtre citoyen refusant l’élitisme comme le populisme, c’est-à-dire « un théâtre élitaire pour tous » (Antoine Vitez 1981).
Mettre en scène : un métier ? Plutôt des dizaines en un au « caractère artisanal « (Jean Vilar)
Quelle place donnez-vous au travail à la table (lecture du texte avec les comédiens, non pas seulement dans ce qu’il veut dire mais dans ce qu’il peut dire dans l’optique de sa concrétisation sur scène) par rapport au moment de la mise en espace ?
FB : Cela dépend des projets. Le travail à la table, toute l’équipe lit le texte, voit ce qu’il y a derrière les mots, cherche le sous-texte comme moteur, le fil de la pensée, le sous-texte global. Par exemple dans « La mouette » il y a une scène où c’est l’attente qui fait sens. En effet, le travail du metteur en scène est un artisanat, il permet aux acteurs de se libérer et de pouvoir improviser. Un texte peut ne pas « marcher », le travail est parfois ingrat, c’est un processus plein de corrections, de révisions. Il est dommage que l’auteur du texte initial s’approprie tout le mérite de la publication au final car on peut dire que c’est tout le travail de l’équipe « à la table et dans la mise en espace » qui crée aussi le texte. En tout cas il est essentiel que les acteurs n’apprennent pas le texte d’avance. Pour que les mots arrivent avec les émotions.
Qu.II. Quand vous parliez d’une troupe russe non francophone comment se fait le travail de direction ?
F.B : il y a une assistante russe bilingue, et je parle un peu la langue. On ne travaille pas mot à mot mais à travers la musicalité de la langue. Par exemple pour des textes de Fabrice Melchiot ou même de Shakespeare, on cherche la musique du texte. S’il y a un « trou » de mémoire ou un décalage technique, on essaie de laisser faire sauf si cela casse la fluidité, la musique de l’œuvre. IL m’est arrivé de devoir interrompre un spectacle et de recommencer car la bande-son n’était pas bien calée. Le public a d’abord cru que « c’était dans la pièce ».
Qu . III. Quand vous dites que vous suivez le spectacle allongé sous la scène, et qu’alors le souffle va de la scène à la salle puis revient vers vous et finalement à la scène, c’est un symbole d l’infini, le 8 de l’infini ? Sortir de nos limites vers une spiritualité élargie, c’est cela l’ « au-delà de » ?
FB : dans « Le songe d’une nuit d’été », un personnage fantastique fait le tour de la Terre en 45 mn, le temps mis par un satellite quelques siècles plus tard….le dramaturge est-il un « voyant » ?
Qu. IV : Pour rebondir sur l’idée de spiritualité, c’est-à-dire l’infini ou l’immensité au-delà du mental dont nous n’avons qu’une intuition. Le proverbe dit que si le sage pointe le ciel, l’imbécile regarde le doigt. Le propre de l’homme par rapport à l’animal ne serait-ce pas cette capacité d’avoir un projet, une intuition qui le libère du réel immédiat. Et en ce sens la re-présentation (théâtrale) met le spectateur en situation de celui qui réfléchit, comme un homme qui se mettrait au balcon pour se voir passer dans la rue.
FB : tout dépend du spectacle ; certains réfléchissent l’image lumineuse du spectateur qui suit alors le mouvement. Mais quand la réalité est présentée de façon plus sombre, le chemin d’accès est plus difficile. Les spectateurs peuvent se refermer si l’image créée par le plateau heurte trop leur sensibilité. Il faut aller chercher le spectateur, lui permettre de ne pas perdre le fil. Sans forcer l’ouverture, le théâtre n’est pas militant, il laisse la liberté de jugement au public. Il pose des questions plutôt que d’imposer des réponses.
Qu . V : Poser des questions, interroger, c’est cela s’exercer à vivre la laïcité au-delà des débats idéologiques, toutefois le résultat est souvent décevant. On n’évite pas les vaines polémiques.
F.B : Si le chemin est bien construit, le public peut répondre de façon satisfaisante. C’est le cheminement qui importe.
Qu .VI : Comment posez-vous la question du rapport entre le fond et la forme au théâtre ?
F.B : C’est La question ! Privilégier la forme peut parfois détruire le fond par formalisme. La forme doit nourrir le fond. On peut partir du fond pour lui donner une forme, il faut se méfier des premières images et chercher plus loin, cette quête du fond suppose un travail de longue haleine. Sans l’absolu il faut travailler, s’arrêter, laisser et reprendre, cela peut durer un an.
Qu. VII : Marie-Christine Barrault ne donne pas l’impression de vouloir incarner ou interpréter un personnage mais plutôt de se laisser porter par son rôle, qu’en pensez-vous ?
F.B : Certains acteurs interprètent un personnage et « entrent dans le rôle », M-C Barrault amène elle le personnage et son corps sur la scène est transfiguré, son visage est comme dilaté, elle semble en lévitation.
Qu. VIII : Le corps du comédien n’est-il pas essentiel dans la présence même de ce qui est en question ?
F.B : Penser suppose d’être vivant, donc le corps est essentiel. Pour les russes le théâtre fait appel à l’organique, au nœud émotionnel de chaque personne : le foie, le cœur etc. Dans la mouette le personnage du raté, qui finit par se suicider, porte un nom qui signifie une tête sans corps. Celui qui n’est pas connecté au sol, à la terre, n’est pas vraiment amoureux, car il n’a aucune consistance.
Qu. IX : comment développer une activité théâtrale à Saint Brevin ?
F.B : Question difficile. Il y a un lieu, une scène qui convient très bien comme je l’ai mesuré lors de la représentation du « Voyage à Zürich » ; j’ai fait des propositions la mairie qui, pour le moment n’a pas donné suite. Il y a un public potentiel sur la communauté de communes du Sud Estuaire. Je souhaiterais faire un festival de printemps, dans un lieu emblématique de Saint Brevin, un parc, la plage. Inviter des comédiens professionnels pour une lecture de textes. Un collectif pour organiser le projet m’aiderait le concrétiser.
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