Habiter (compte rendu complet)
Compte-rendu du Café citoyen « Habiter » samedi 15 octobre
Avec un commencement en comité restreint, en raison d’une action extérieure, ce deuxième Café citoyen de la saison a réuni une trentaine de personnes en fin de compte et suscité une bonne discussion entre les participants.
Après les remerciements d’usage et le rappel des règles nécessaires aux échanges, Jocelyne Pigrée membre de l’atelier laïcité de l’AL, et ayant été chargée des questions d’urbanisme et de logement en tant que maire adjoint dans une municipalité de la Région Parisienne, nouvellement installée à Saint Brevin, a délimité son sujet : l’habitat comme question d’aménagement du territoire urbain. Méritant à elle seule un autre temps de réflexion, la question sociale du logement s’invitera de temps à autre subrepticement dans la discussion.
Etapes de l’exposé : -Une brève histoire de l’habitat
- Une promenade futuriste dans les villes de demain
- Ce qu’on attend de nos lieux de vie et de « vivre à Saint Brevin »
I. Brève histoire de l’habitat
Plusieurs approches sont possibles, celle de l’architecte, du sociologue, de l’urbaniste ; partons de la définition générale du Petit Robert : habitat : 1° milieu géographique propre une espèce animale ou biotope.2° modes d’organisation et de peuplement humains.
Pour la préhistoire, abri temporaire ds grottes avec des animaux sauvages, nomadisme. Puis avec l’organisation en clans au néolithique début de l’appropriation des lieux de vie, passage de la chasse-cueillette à l’agriculture et sédentarisation ; propriété des terres, et sur le temps long évolution des communautés villageoises vers les villes où sont construites des maisons durables, espaces de vie pour manger, dormir etc.
Antiquité : modèle de la villa romaine. Rome avant notre ère est déjà une métropole de milliers d’habitants avec des quartiers aux riches villas et des quartiers pauvres avec des immeubles insalubres.
Une ville doit être organisée pour :
-approvisionner la nourriture, des ports, des voies de communication
-dégager les déchets
-distraire : stades, théâtres, gymnases,
-Prier : temples
-administrer et ménager des espaces de vie publique et politique : le forum
Au Moyen-Age il s’agit de protéger par des fortifications, châteaux-forts et de rendre visible le pouvoir religieux, donc de hauts clochers. Les gens du peuple vivent dans des habitations modestes souvent partagées avec les animaux domestiques, sauf en Bretagne.
Au XIXème siècle après une lente évolution la révolution industrielle bouleverse l’habitat. L’exode rural commence, vide les campagnes et fait grossir les villes. Les conditions d’hygiène y sont déplorables. Mais on peut citer qq cas de cités ouvrières modèles comme celle de Godin, ou les familistères inspirés des blanquistes.
C’est Haussman qui modifie profondément le visage de la ville, Paris voit ses vieux quartiers rasés et de grandes avenues ouvrir la perspective dans les beaux quartiers. La ville s’étend à la périphérie où sont logés les pauvres chassés du centre ville ; le Paris populaire de Gavroche décrit par Hugo s’efface et pour le remplacer, des immeubles bourgeois avec commerces au rez-de- chaussée, beaux appartements aux premiers étages, chambres de bonnes sous les toits. Eau et gaz, toilettes privées et ascenseur signent le mode de vie moderne de la bourgeoisie. (NB Lire aussi Zola).
L’american way of life s’impose comme modèle de progrès et les immeubles deviennent de plus en plus hauts, la Sky line des gratte-ciel dessine la ville nouvelle (fin XIX-début XX ème s). En France dans les années soixante, la Tour Montparnasse, la tour de Bretagne à Nantes …..
Mais les mal-logés sont nombreux, immigrés, rapatriés d’Algérie, et autres gens de misère. Leurs conditions de vie sont dénoncées par l’Abbé Pierre lors de l’hiver 1954 ; la construction en urgence d’immenses cités dans des banlieues de plus en plus éloignées, avec peu de transports adaptés au travail dessinent un monde bétonné et voué à la dégradation rapide.
Le dernier virage, au troisième millénaire correspond à la prise de conscience écologique ; vers un habitat plus vert, plus vertueux en consommation énergétique, plus vivable. L’urbanisation est un phénomène mondial ; en 2008 on compte 50% de citadins ; au moins 70% prévus en 2050.En 2018, 50 agglomérations comptent plus de 10 Millions d’h; Hong Kong :65 M ;Tokyo :42M ;Sao Paulo:36 M, Paris : 11M.
II. Les enjeux de la ville du 3 ème millénaire
Répondre à la croissance démographique au changement climatique, (risques de submersion de la Malaisie à … Saint Brevin !) ; pour survivre se réinventer. Lire « Désir de ville » d’Éric Orsenna
Le Japon, modèle intéressant, pays étroit et très peuplé : 80% de la population sur 4% du territoire. En 2045est prévue dans la baie de Tokyo une tour de 420 étages qui pourra héberger plus de 500 000h. Les villes défient la loi de la gravité : Dubaï tour de 828 m ; Séoul : 553m .
Si la population urbaine croît ainsi il faut prévoir des fermes urbaines, avec des champs sur des étages et un système hydraulique fermé donc autonome. Ainsi une ferme robotisée sur 400m2 produit 30 000 salades sans pesticides ! Paris sera doté de la plus grande ferme urbaine d’Europe sur le toit de la foire expo de la porte de Versailles avec 14 000m2 de toit végétalisé.
La ville de Detroit aux E.U, désindustrialisée et végétalisée a investi massivement dans des jardins partagés. Enfin Helsinki en Finlande propose la « villes terrier » où toutes les fonctions utilitaires sont sous terre : transports, stockage, centres commerciaux, mais aussi cinémas, piscines. Comme cette vie sous terre est peu désirable, on raconte aux enfants des histoires heureuses qui se passent sous terre pour les adapter. Difficile à imaginer dans les villes qui ne connaissent pas la nuit polaire. Alors les pays du Golfe qui ont des ressources financières imaginent de construire des anneaux flottants sur la mer pour gagner de l’espace.
Il faut aussi prévenir la hausse des températures dues au réchauffement climatique, végétaliser les rues, les façades, les toits, installer des panneaux photovoltaïques partout et peindre les façades en blanc etc. Multiplier les transports en commun non polluants (si possible gratuits !).
Tout cela relève d’un plan d’urbanisme qui prévoit les parcours piétonniers, les enlèvements de déchets, des trottoirs confortables, l’ultraconnexion de tous les services publics. Mais le paradoxe entre cette volonté de ne pas étaler la ville, de laisser de l’espace aux terres agricoles et aux forêts etc ., entre en contradiction avec le rêve de la maison individuelle avec jardin. Un architecte comme Roland Castro s’est efforcé de concevoir des « tours d’habitation »avec des jardins ds le ciel, des niveaux décalés et une relation heureuse entre le dehors et le dedans. Faire de l’habitat partagé entre générations, catégories sociales (propriétaire et locataires), retrouver l’esprit de quartier au sein de la grande ville.
Habiter, être un habitant c’est pouvoir être reconnu par les commerçants du quartier, connaître ses voisins, avoir un compte chez son libraire à la médiathèque.
En conclusion
Habiter Saint Brevin, ville moyenne, avec des commerces nombreux, des marchés réguliers , un cinéma, une piscine, de nombreuses associations, la proximité d’une ville plus importante avec un hôpital, un cadre de vie agréable entre l’océan et la forêt , est-ce la bonne vie ?
Comment vivre ensemble ? Comment aménager de beaux espaces ? Comment préserver le littoral ? Comment améliorer la vie culturelle ? Et surtout comment améliorer la participation des citoyens à la vie et aux choix d’organisation de leur ville ?
Questions
I. Je prendrai « habiter » au sens existentiel, ou manière d’habiter le monde. Dans le poème « Dichterisch wohnt des Mensch » (l’homme habite en poète) Hölderlin (1770-1843) invite à habiter poétiquement le monde, c’est-à-dire, au sens étymologique de poïen en grec, de faire, de créer, de bâtir. L’expression fait référence à un ancrage dans la nature mais aussi l’imagination créatrice de l’homme. Il y a donc bien un habitat poétique quyi exige une éthique, voire une politique, une démarche écologique, une manière de se couler dans le monde, de vivre en harmonie avec les humains et le non-humains. Les poètes (créateurs, artistes, écrivains, architectes, voire certains « zadistes ») peuvent-ils nous aider à habiter « poétiquement » le monde ? À quoi les poètes peuvent-ils être utiles en temps de détresse ? Cette interrogation de Hölderlin vers 1800, aujourd’hui plus actuelle que jamais se pose au plus haut point au monde de la culture.
II. On ne choisit pas forcément son habitat, on s’adapte, les hommes vivent ainsi de découverte en découverte.
III. Si on ne choisit pas, ne faut-il pas habiter autrement ? Avoir du mal à se loger et voir que des espaces menacés par la montée des eaux, comme à Mindin, seront abandonnés ou détruits n’est-ce pas problématique ? Ne pourrait-on envisager de reconvertir cette zone en « habitat nomade », la vouer à l’accueil temporaire d’habitations légères ou mobiles ?
IV. Pour concevoir des projets viables il est nécessaire d’obtenir la participation des citoyens et des responsables sur la Communauté de communes. Comment amener tous les citoyens à s’informer et à s’intéresser davantage aux projets d’urbanisme ? Procéder au coup par coup ne prépare pas à des solutions durables. Et parler de participation citoyenne à ceux qui n’ont pas choisi leurs conditions de vie est-ce réaliste ? Il faut trouver les moyens de rendre les choix possibles, il faut impliquer les citoyens en leur offrant une vision d’avenir de leur cité.
Réponse de J.P : même avec trois mandats en tant que maire-adjoint, l’expérience montre combien il est difficile de changer de logiciel pour accomplir des projets qui engagent une ville pour longtemps, au-delà de ma propre vie ; c’est une leçon d’humilité. Les permis de construire, le PLU, engagent le temps long. Sans action collective et la participation intergénérationnelle c’est difficile.
V. Il y a des initiatives d’habitats participatifs intergénérationnels, dans des écoquartiers favorables à la diversité. Ex : Nantes Bab El Oued.
Réponse J.P : j’ai voulu éviter la thématique fermée du logement, mais c’est lié à l’aménagement urbain, ces projets d’économie mixte public/privé, intergénérationnels et mélangeant locataires et propriétaires sont une piste intéressante.
VI. L’engagement des citoyens se trouve face un mur de bureaucratie. La démocratie directe paraît impossible et on en revient toujours à des problèmes budgétaires. En outre quand certains maires se prennent pour des nouveaux Louis XIV, les citoyens se sentent impuissants.
VII. Comment faire coïncider le temps long de l’habitat avec le temps de plus en plus court de l’économie ? Les transformations du travail entraînent des besoins nouveaux de transports, une nouvelle mobilité.
Réponse de J.P : Le problème des transports est fondamental. Faudrait-il des transports gratuits ? Et pour Saint Brevin revenir à la navette fluviale ?
VIII. Habiter quelque part c’est d’abord habiter la Terre, et comme l’a dit Bruno Latour (anthroppologue et philosophe récemment décédé), il faudrait atterrir avant qu’il ne soit trop tard. Contre les Elon Musk qui nous font croire à la fuite sur Mars, c’est-à-dire contre la fuite en avant du productivisme et l’oubli de la vie humaine et de toute vie sur Terre, il faut réaffirmer que vivre c’est participer à une logique du vivant ; participer à son environnement, être dans un lieu n’a rien d’abstrait, c’est en être partie prenante, le connaître, en prendre soin, le transformer en douceur sans rien détruire, et savoir y accueillir les visiteurs de passage comme les nouveaux venus. Dans « Zoo cities » Joëlle Zask montre combien les villes sont enrichies, embellies par la présence d’une faune sauvage, oiseaux, écureuils, papillons, mais tous les autres aussi. La tradition est celle de l’accueil, de l’hospitalité. « Le monde où il faut qu’on atterrisse, en qq sorte, le monde dans lequel on se trouve placé, c’est un monde de vivants au milieu des vivants » dit encore Bruno Latour. Alors habiter une Terre, Gaïa, un système vivant avec des limites, c’est comprendre que vivre ici ou là, ce n’est pas s’approprier un territoire en excluant les autres, encore moins se comporter en prédateur et priver les autres des biens communs à tous, l’eau, l’air, la terre. Aimer voyager témoigne des vestiges du nomadisme, c’est donc comprendre que d’autres que nous viennent là où nous sommes ; nous sommes des êtres mobiles, pas des arbres avec des racines (encore que…). Oui « habiter en oiseau » je reprends la belle formule de Vinciane Despret qui décrit le comportement intelligent et tolérant des corneilles et corbeaux capables de coexister de cohabiter avec les arrivants.
IX. Cohabiter, comment ? L’habitat actuel tend à la propriété et vise à faire semblant d’être ouvert à l’autre. Protéger c’est d’abord se protéger des autres. Il faut alors conjuguer un désir d’aller vers les autres et la crainte des autres car pour manger, survivre, il faut parfois entrer en conflit. IL y a une oscillation entre la paix idéale et le conflit réel. Idéal de partage mais désir d’être chez soi, donc de s’approprier un lieu de vie.
X. Habiter et se déplacer, sortir de soi comme autre manière de se transporter. Pour cela il faut rencontrer les autres ; nombre d’associations existent et pourtant il n’est pas toujours facile à une personne seule, isolée, de franchir la porte d’une association. Un élu peut-il entendre un avis venant d’une seule personne ? Et les fins de semaines isolent encore davantage ceux qui n’ont pas rejoint la voix collective car le samedi et le dimanche chacun reste dans son cercle.
XI. Habitant depuis 2 ans à l’Ermitage et venant de Redon j’exprime ma déception de vivre à Saint Brevin, agréable station balnéaire, mais aux quartiers Sud et Est trop excentrés et vides hors saison. Et lors d’une réunion de quartier que peut comprendre un adjoint municipal qui n’habite pas ce quartier ? 10 mois sur 12 des maisons vides. J’en viens à me demander si des réquisitions ne seraient pas légitimes ! Il y a des personnes qui ne peuvent pas accéder au logement parce qu’il n’y a pas assez de logements sociaux dans la commune. C’est inadmissible. Il aurait bcp d’efforts à faire car des gens ici « crèvent de solitude ».
XII. Pour revenir à ce qui nous rassemble, il faut trouver ce qui à l’échelle de la cité, peut « mettre les gens ensemble ».
XIII. Mais c’est la culture, la Culture ! Le cinéma, le théâtre, la musique, la littérature partagée, le sport aussi. Mais à une condition : rechercher la qualité des acteurs culturels. Il y a encore beaucoup à faire à Saint Brevin.
XIV. En tant qu’élue municipale (d’opposition) je serai très critique à l’égard de la politique municipale qui ne laisse pas de place à la participation citoyenne. Les projets sont décidés sans transparence et les citoyens ne sont pas écoutés pour dessiner une vision d’avenir de la cité.
XV. Le problème qui se pose set celui du temps long. Il faut de la pédagogie pour que les gens s’ouvrent aux projets et qu’une réflexion collective fructueuse ait lieu ; qu’il y ait de nombreuses associations diverses ne suffit pas si ces associations ne dispose pas chacune d’une méthodologie adaptée à leur mode d’intervention auprès de chaque public. Il est nécessaire de confronter des idées, encore faut-il que la génération montante des 10-15 ans ne soit pas détournée de faire des choix tant l’incertitude de l’avenir lui paraît grande.
Merci à tous les participants
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